" Cherchant en vain à représenter la bave d’un animal haletant, le peintre grec Protogène jette finalement de dépit une éponge sur son œuvre ; il obtient alors, par « hasard », le rendu qu’il recherchait… Cette anecdote, racontée par Pline l’Ancien, est citée par Pierre Soulages pour expliquer l’importance des « accidents » dans sa peinture.
En photographie, l’accident est tributaire de l’outil utilisé. Mes « accidents » portent la trace des technologies argentiques. Sans nostalgie, mais avec la certitude qu’ils témoignent d’une temporalité précise. Le numérique, aussi, produit ses propres accidents. Je ne les ai pas encore assez rencontrés pour en connaître la vérité.
Au départ, un accident est un événement négatif, malheureux. C’est pourquoi, l’accident esthétique doit être un ratage, une bévue, une erreur. S’il est volontairement recherché (utilisation d’appareils plastiques, applications « vintage » pour smartphones…) il devient un effet de style et un maniérisme.
Les accidents qui m’importent sont ceux qui possèdent une épaisseur fictionnelle. Ils étirent le temps, créant une sensation de travelling. L’image n’est plus coupée de son hors champ. L’irruption de la lumière et de la matière ancrent les images dans une autre dimension documentaire. L’accident révèle ici la spécificité photographique qui mêlé réel et fiction, narration et documents, poésie et vérité de l’instant.
Dans chacun de mes livres, j’ai intégré des images du réel « involontaires » et « inconscientes ». Face à eux, comme devant l’éponge de Protogène, on peut parler de petit miracle esthétique. Tout créateur aime, je crois, ce moment où son travail s’affranchit de sa propre maîtrise et de son savoir-faire.
La découverte d’un accident réussi offre une respiration de bonheur. Décider d’en faire une œuvre à part entière, c’est instaurer un dialogue et une connivence avec le public. C’est aussi démontrer par l’absurde que c’est dans l’improvisation, et même les « couacs », que notre travail tient. Cela atteste de la liberté d’un style. Comme ces jazzmen qui s’emparèrent avec virtuosité du free jazz pour pousser leur instrument aux limites extrêmes de leur technique."
Travail exposé aux Rencontres d'Arles 2012
JCB
Jean-Christophe en vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=8p7XmYWfYCw&t=4s
Les autres séries du même artiste : American puzzle / Au coeur des villes / France Nord