Je ne sais pas pour vous, mais quand j’étais enfant j’avais une sorte de fascination pour le milieu carcéral. Je me demandais comment l’on pouvait vivre enfermé dans une petite cellule, un grand cercueil finalement, entouré de gens aux passés lourds et, surtout, avec cette conscience que le temps prend une autre dimension. Quels ressorts interne faut-il mobiliser pour tenir ? N’est-ce pas particulier de se dire qu’une prison, petite ville pleine d’âmes en souffrance, prend place au milieu d’un quartier d’une autre ville, plus grande, plus joyeuse, plus libre, et dont les habitants sont loin d’imaginer ce qui se passe dans ce huit clos, à deux rues de chez eux.
Mathieu Pernot répond, en partie, à ces interrogations avec son exposition « La Santé », au 104, du 13 octobre 2018 au 6 janvier 2019. Le photographe s’était déjà penché sur le milieu carcéral dans sa série « les hurleurs » où il photographiait les détenus. Ici il photographie la maison de la Santé, vidée de ses prisonniers, avant sa destruction. Quelles traces reste t’il de ces vies captives ?
Je m’attendais à de nombreuses photos de murs, de couloirs, de parloirs…comme une documentation systématique. Pas du tout. Mathieu Pernot est allé au plus simple, il a photographié ce qui ne pouvait être prélevé, a détaché les nombreuses images placardées aux murs des cellules et a retranscrit les mots gravés sur les parois.
Le tout donne un rendu explosif de véracité. Dans la deuxième pièce, surtout, impossible de ne pas avoir un petit frisson qui remonte l’échine. Nous remarquons des traits blancs sur le sol qui symbolisent les parois des cellules et sur les murs : des affiches déchirées, des pages de magasines accrochées, des cartes du monde par dizaine… Rien n’a été modifié, nous passons juste d’un mur de prison à celui d’une galerie, voici, sous nos yeux, l’univers visuel de ces détenus qui n’ont, pour seule liberté, que la décoration de leur cellule. Porno, montres, voitures, football, images saintes…la pluralité est saisissante. Nous remarquons enfin les découpes rondes faites dans les images pour laisser place à l’œilleton, objet symbole du triple enfermement : celui de la prison, celui de la cellule, et celui du constant regard de l’Autre.
Mathieu Pernot nous prouve, une nouvelle fois, son sens du récit. Il sait transcrire sans artifice un environnement, ici, ou une famille comme il l’avait fait avec sa série « Les Gorgan » présentée notamment aux Rencontres d’Arles en 2017. N’est-ce pas là, l’objectif premier du photographe/reporter ? Rapporter sans altérer, être un témoin silencieux de ce qui lui est donné à voir.
Le lieu : http://www.104.fr/
Le photographe : http://www.mathieupernot.com/