J’ai passé les périodes de confinement imposées par la pandémie dans l’appartement montmartrois où je vis depuis près de quarante ans et dont l’une des pièces offre une très large vue surplombante sur les toits de Paris.
Je dois avouer que, jusque-là, ce beau panorama n’était pour moi qu’une agréable toile de fond à laquelle je ne prêtais qu’une attention distraite. L’enfermement que nous avons subi dès la mi-mars 2020 m’a fait découvrir ce que j’avais sous les yeux. Je ne parle pas tant des monuments célèbres qui, du Panthéon à la Tour Eiffel, se dressent au loin, mais plutôt de ce qui, de ma fenêtre, s’offre à la vue au premier plan : de vieux immeubles parfois délabrés et à l’abandon, des toits, des cheminées et la faune qui les peuple – pigeons, merles et corneilles.
Mu sans doute par l’envie d’accomplir une sorte de voyage immobile, j’ai sorti d’un tiroir mon petit appareil photo muni d’un bon téléobjectif et je me suis mis à explorer et à photographier les toits. J’ai découvert un monde étrange et j’ai vu, dans cette multitude de cheminées, comme un régiment de sentinelles offrant parfois, surtout dans la lumière du soleil couchant, des images quasi picturales, évoquant tour à tour Morandi, Hopper ou Turner.
Parallèlement, j’ai commencé à élaborer le plan de mon opéra Les Éclairs (le premier métier de Philippe Hersant est compositeur, ndlr). De façon mystérieuse, ces deux activités se sont rejointes dans mon esprit pendant de longs mois. Cheminées et oiseaux sont devenus personnages de théâtre et l’exercice quotidien de la photo, le travail sur le cadrage, sur la lumière, sur la construction graphique de l’image, m’ont aidé à organiser et à développer le plan de mon opéra - sans que je sache expliquer pourquoi ni comment. J’ai mené de pair ces deux activités jusqu’à l’achèvement de la dernière scène, au début du mois d’avril 2021.
Philippe Hersant